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Voilà quarante ans maintenant que Katalin Kariko, une biochimiste hongroise, travaille sur l'ARN messager, une technologie à la base du vaccin Pfizer-BioNTech, le premier distribué contre le Covid-19.

Une discrète héroïne. Katalin Kariko n'est pas une personne facile à contacter ces derniers mois. Cette biochimiste hongroise installée aux États-Unis était pourtant encore inconnue l'année dernière. L'équipe de Ligne Rouge a pu rencontrer celle qui est aujourd'hui devenue l'un des visages de la lutte contre la pandémie de coronavirus.

"Je pense honnêtement qu'elle a dû recevoir une centaine de demandes d'interview", nous confie avant notre rencontre avec elle Norbert Pardi, un collègue et ami chercheur à l'université de Pennsylvanie, "C'est fou! Des gens du monde entier s'intéressent à elle, pas seulement aux États-Unis, elle est d'ailleurs un peu surprise de toute cette attention médiatique".

"Je suis peut-être celle qui sait le plus ce qu'il y a dans le vaccin"

C'est dans la ville de Rydal, située au nord de Philadelphie, en Pennsylvanie, que notre équipe a pu faire la rencontre de celle dont les recherches sur l'ARN messager a permis le développement du premier vaccin contre le coronavirus, celui de la start-up allemande BioNTech et du géant pharmaceutique américain Pfizer.

Face à nous se présente une femme qui nous montre fièrement sa carte de vaccination, précisant qu'elle a bien reçu les deux injections du sérum.

"Je suis peut-être celle qui sait le plus ce qu'il y a dedans", ironise Katalin Kariko.

Si elle nous accueille dans sa maison, c'est parce qu'elle aussi est contrainte de télétravailler. Le vaccin sur lequel elle a travaillé a beau être aujourd'hui administré, il faudra encore beaucoup de temps pour que les États-Unis et le reste du globe atteignent une immunité suffisante. Mais cette rencontre et cette histoire n'auraient sans doute jamais pu pu voir le jour sans... un ours en peluche.

Une Hongroise partie travailler aux États-Unis

Tout commence dans les années 1950, Katalin Kariko réside alors avec sa famille à Kisujszallas, à 150 kilomètres à l'est de Budapest. Elle découvre très tôt un intérêt pour la biologie en passant du temps avec son père, boucher de profession.

"Elle regardait où se situait le coeur, le poumon et le pancréas, pour elle c'était une forme d'apprentissage, elle était si enthousiaste en regardant l'animal et ses organes", relate Lajos Ducza, ancien maire de cette ville hongroise d'environ 10.000 habitants.

Mais c'est bien après, à l'université, que tout se concrétise pour Katalin Kariko, sa thèse de fin d'études porte notamment sur une molécule à l'acronyme bien connu: l'acide ribonucléique, dit ARN. Une sorte de code génétique qui sert à envoyer des messages à nos cellules pour leur faire fabriquer des protéines nécessaires au fonctionnement de notre organisme. La jeune Hongroise est dès cette époque persuadée de l'apport de l'ARN pour notre santé, ce dernier pourrait selon elle apprendre à nos cellules à lutter contre les maladies et les virus.

"Les mécanismes antiviraux m’ont toujours passionnée et les virus m’ont toujours fascinée, ce lien entre virus et système immunitaire et ce combat permanent entre les deux", témoigne face à notre caméra Katalin Kariko.

Mais les recherches autour de cette molécule demandent un coût que ne peut pas supporter le centre de recherche biologique à Szeged, où elle officie. Elle apprend même en 1985 que son poste est supprimé et prend alors une décision importante: quitter la Hongrie pour se rendre aux États-Unis.

La difficile recherche et reconnaissance autour de l'ARN

Mais pour s'assurer de vivre suffisamment lors de leur arrivée au pays de l'Oncle Sam, elle et son mari n'ont d'autres choix que de faire des économies qu'ils doivent dissimuler dans l'ourson de leur fille, les autorités leur interdisant de quitter le pays avec plus de 100 dollars. En juillet 1985, ils s'envolent avec 1000 dollars pour la Pennsylvanie, où Katalin y intègre la prestigieuse université de l'État.

Son intérêt pour l'ARN ne se dément pas et elle reste persuadée que la technologie de l'ARN messager pourrait fonctionner chez l'Homme après des expériences réalisées sur des souris. Mais ils ne sont qu'une poignée dans le monde à travailler sur cette technique, où une partie du matériel génétique du virus est injectée dans nos cellules pour que le système immunitaire fabrique des anticorps et neutralise le virus. "Nous étions dans l'ombre de la thérapie génique", reconnaît la biochimiste hongroise.

La technologie de l'ARN ne séduit pas les investisseurs et Katalin Kariko peine là encore à trouver les financements nécessaires à sa recherche. Elle est renvoyée en 1995 de son département mais l'un de ses anciens étudiants, le neurochirurgien David Langer, parvient à la faire embaucher dans le département de neurochirurgie.

"Je savais quelle scientifique extraordinaire elle était, et je me suis dit que ce serait une honte si quelqu'un comme elle était sacrifié", nous raconte David Langer.

Quelques années plus tard, elle fait la rencontre de l'immunologue Drew Weissman pour travailler sur les premiers vaccins dits à ARN messager. Katalin Kariko transforme alors les molécules à ARN messager pour les rendre moins inflammatoires lors de leur injection, sans provoquer de mauvaise réaction sur le système immunitaire. Ils déposent alors un brevet, mais l'université de Pennsylvanie vend la licence de propriété intellectuelle à une entreprise de fourniture de laboratoire.

Vers un prix Nobel de médecine?

Elle rejoint alors BioNTech au détriment du géant Moderna et devient vice-présidente de cette start-up allemande en 2013. L'entreprise est l'une des premières à se lancer dès début 2020 dans la conception d'un vaccin contre le coronavirus et l'ARN messager permet à BioNTech et à son partenaire américain d'annoncer en novembre 2020 un vaccin efficace à 95%.

"J'étais confiante, je savais que ça marcherait", assure la biochimiste qui ne pensait pas "qu'une telle chose arriverait dans (sa) vie".

Pour ses confères, Katalin Karinko pourrait tout à fait prétendre à la plus grande des distinctions en médecine: le prix Nobel.

"Je pense qu'elle le mérite", affirme David Langer, "si vous regardez les critères du prix Nobel, il est écrit que la découverte doit contribuer à l'humanité, et elle a sauvé le monde [...] notre économie, la stabilité de nos démocraties"

"Bien sûr!", répond à son tour Norbert Pardi. "Cela va probablement sauver des millions, des dizaines de millions de vies sur la planète, cela devrait suffire à lui donner le prix Nobel mais en plus on pourra sans doute utiliser cette découverte pour vaincre d’autres maladies comme le cancer peut-être, alors vous pouvez imaginer l’impact que cela aurait sur la santé mondiale!".

Baptiste Besson, Mélanie Bontems, Yves Couant et Joël Le Pavous avec Hugues Garnier